vendredi 4 juillet 2014

Tentative d'élucidation

Ce texte est un processus d'apprentissage personnel concernant le conflit qui agite le milieu culturel en France actuellement. Cette situation pour une part est emblématique à mon sens de la situation de la culture au niveau international, d'autre part elle semblerait porter des conséquences du fait du statut d'exception culturelle française sur l'ensemble du continent européen, elle est enfin le lieu de cristallisation de réflexion plus large du point de vue de l'orientation politique au sujet de l'économie.

J'arrive à Avignon. Une convention a été signée entre le gouvernement, le patronat et trois syndicats sur la question de l'allocation chômage touchant pour une part la question du statut des intermittents en France.

Je pars du principe de ne connaître que ce que j'en sais pour toute situation. Ici somme toute assez peu.

Parmi les bruits entendus : à travers le statut des intermittents, ce sont tous les régimes précaires qui sont menacés.
En face, dans un dialogue impossible car fait d'incompréhension, un gouvernement accusé de laisser libre cours à une économie de marché.



La démarche consiste à opérer des allers retours entre les bruits, les témoignages, les sentiments exprimés, les faits et pour tout ça la traduction qui peut en être fait d'un point de vue théorique.

A ce qu'il semble, deux logiques :
- D'un côté, la préservation et l'amélioration d'un modèle français garantissant la pérennité des pratiques culturelles.
- De l'autre, une logique économique où tous les secteurs constituant la société doivent aujourd'hui contribuer à la diminution de l'investissement financier de l'état.

Ces qualifications sont encore particulièrement sommaires, l'enjeu consiste à articuler en éléments simples l'endroit des revendications respectives. 

Dernièrement un texte circulait appelant à une élaboration d'une politique expérimentale. Pour ne pas rester en reste, je me propose d'en faire un commencement, un fragment.
Mon intention est de parvenir à traduire ces éléments dans les termes d'une philosophie politique.

Pour ma part :
Les pratiques de la culture contemporaine si tant est qu'elles aient le souci d'un développement des forces cognitives tant psychiques, techniques, sentimentales, spirituelles, conceptuelles, ou sensitives, si elles se donnent pour objet la conscience d'un dispositif critique de la réception, des modalités de la fabrication des formes aussi bien antérieures qu'actuelles, si elles s'acheminent vers l'écriture d'un monde en devenir encore non-traduit ou qu'elles tentent de faire revenir à elles l'ensemble des résonances qui les constituent jusqu'à lors, ces pratiques doivent être en mesure de s'associer avec le langage, non pour l'assigner à justifier ce qui en fait sa dynamique propre, plutôt comme le témoignage de ce qu'elles énoncent à chaque jour en puissance et en réalisation à chacun d'entre nous en vue d'élaborer le champ vital de notre relation au monde proche et lointain.
Je fais le pari de cette intelligence dans l'œuvre comme lieu de conjonction de l'ensemble des représentations et pratiques qui nouent  l'imaginaire avec l'agir social ainsi qu'à la valeur de l'échange.

Nous pouvons positivement envisager de traduire l'ensemble de ces représentations afin de dégager un terrain de réflexions pragmatiques qui nous permettra de travailler vers le sens commun.

Ce n'est qu'à partir de ce préalable que nous pourrons envisager légitimement le terrain de la concertation à défaut de maintenir un climat de ressentiment général.

Cette démarche est un protocole et peut être  transposée dans d'autres lieux ou temporalités. Ici elle interroge une des questions qui à ce jour me semble la plus emblématique en ce qu'elle contient les éléments clefs pour envisager le monde de demain, je parle de la création.    


Une certaine méconnaissance des faits exacts permet parfois d'entendre les paroles en tant qu'elles se situent les unes par rapport aux autres. Dans ma perspective de ne pas m'engager sur une voie ou une autre de la situation à risque d'un statut à conférer à la situation, je poursuis mon travail d'enquête.

Je ne souhaite faire écho ni à des rumeurs, ni à des informations parcellaires, je ne veux pas non plus avoir l'avis d'un spécialiste.

Sur le terrain je constate des dissensions au sein des intermittents. Deux groupes majeurs se dessinent. Le CIP (coordination des intermittents et des précaires) à l'initiative certaine du mouvement de grève et les syndicats pris plutôt dans une logique de concertation avec le gouvernement. Toute la question tient à la crédulité qu'il est possible de conserver relativement à une organisation politique nationale, elle-même sujette à des obligations conjoncturelles internationales.



Une chose me semble a priori certaine, c'est qu'aucun mouvement de grève ne me semble pouvoir parvenir à remplir le rôle qui lui est imparti. A l'heure des communications médiatiques, les relations entretenues avec les organes de presse peuvent suffire à donner du sens à une implication dans le "sujet" de la tenue des festivals d'été. En développant même plus avant et compte tenu des contraintes financières, logistiques et techniques, je dirais que la revendication de la grève tient d'un implicite suicidaire.

Avoir le courage de se donner au monde au moment du danger. Une idée qui me semble importante, mais cela nécessite que l'endroit du danger soit dans un même temps l'endroit de la réception critique. Or en l'état, je ne perçois pas d'espace critique suffisamment déterminant pour parvenir à faire vivre la nature du danger, et donc par conséquence du courage qui pourrait en naître.




J'entendais cette femme assistant à l'annulation de la première du festival qui me disait : "Mais c'était d'un triste! J'étais là en 68, c'était une autre vitalité! Là, il y avait quelque chose comme une résignation et le sentiment d'impuissance." Elle ravale sa salive. Et je pense à la situation en Grèce où passé le carnage, les humains vivent, après la colère.

Au fond une idée qui m'est venue: "Mais alors c'est donc que nous n'avons plus aucune considération du sérieux des formes de l'art en tant qu'elles sont à même de porter la parole politique ? Et puis quoi ? Nous travaillons à la singularisation de ces formes et maintenant il s'agirait de nous ranger en une seule, la forme de la manifestation dont la dynamique nous est si habituelle, et la prise de voix qui porte la même résonnance à travers les rues ?" Et encore : "Quelle portée attendons-nous dans l'invocation à la classe politique quand on sait que l'avenir va tenir dans la force constituante de nos propres organisations ?" Les formes de l'art que je connais, que j'apprécie, que j'accompagne sont des formes portées par des personnes qui ont le sens aigu de leur relation au monde. A quoi sert-il de les inciter à abandonner ces formes pour en adopter celles d'une revendication plus abstraite comme si tout le temps de leur propre expertise, de leur propre prise de parole publique comme l'est celle du théâtre où des voix s'expriment et s'arrachent au silence pour porter sur la scène des histoires, des images et du sens n'avait été que peines perdues ?

Je pense qu'il n'y a pas lieu de polariser la situation en disant : "C'est mieux ensemble que tout seul !" La solitude ne porte t'elle aucune raison d'être et la collectivité ne draine t'elle pas avec elle toute une part d'inertie et d'inanité tout autant ?




Ce que je dis, je l'entends tout autour de moi, et ce qui m'affecte c'est de sentir que c'est précisément à la mort imaginaire que nous commençons à nous entrouvrir, à nous entretenir.


Pour moi-même j'entends cette voix qui me dit que dès que se lève la pointe du soupçon et de la nuance un mouvement général s'affaiblit, mais je n'ai aucune estime de raison au mouvement général parce que c'est par la collusion des sens que se construit un amour de la vie. Et que cette collusion est un travail que chacun doit être à même de se donner. C'est une tâche, cette tâche à l'œuvre, dans l'œuvre, pour l'œuvre, pour chacun. C'est à l'intérieur d'un chacun que les mots de l'art se parlent et construisent un imaginaire insensé. Nous ne pouvons pas oublier cela. Le mouvement général peut-il raisonnablement porter des idées? Ou est-ce qu'il y a un chacun dans la chaîne qui le relie à l'autre qui crée ce monde où les rêves ne se perdent pas en seule imagination mais en un faire pour de vrai, en scène ou dans l'espace, de toute manière et en fin de cause ?



Je n'ai pas répondu à ma question, et cette questions est restée sans réponse pendant quelques jours. Depuis, le festival a repris son cours, un mot par-ci, des affiches par là, la sensation que l'état de grève annoncée devenait une forme parmi les autres, elle rejoignait le monde du spectacle avec ses formes de médiation, ses formes d'évènement.
Certains ont dit :"Non! Pas ici!" Et ils ont voulu sortir la misère de la scène. Pendant ce temps, les représentations se suivent, ne se ressemblent pas. Chacun donne un avis sur ce qu'il voit, on optimise le regard pour ne pas être venu pour rien. Et il est possible qu'il y ait des choses à voir. Possible. Il y aura sans doute toujours quelque chose à voir.



Les oeuvres sont belles, les oeuvres sont tristes. Pendant que les bombes tombent en Israel/Palestine. Les images se surchargent aux images pour ne laisser le temps de ne pas juste reprendre le souffle.
La question est : Est-il possible de laisser sortir une image de soi ? Est-il nécessaire de dire quelque chose de plus ?
Nous évoluons dans les industries de la connaissance, on dit les industries culturelles. Et l'enjeu est de savoir comment y être présents. Parce que sinon qu'est-ce qu'il reste ?
Peut-être suffit-il de remettre les choses à leurs places et de commencer par dire celles qu'on aime. Remettre de la sincérité dans la balance et se défaire de l'embarras d'un doute qui lui aussi pourrait être mortel. Non pas tellement faire coûte que coûte, mais faire en sorte que chaque mot soit l'endroit qui lui soit imparti sans autre forme de jugement. Une allitération continue, rythmique qui recompose au passage le corps ou le sens d'un organisme.



Il n'y a pas de secret, j'ai sans doute perdu le fil de mon enquête, à moins qu'elle n'ait jamais eu vraiment lieu et que je n'ai feint que vis-à-vis de moi-même de croire que je rassemblerais des morceaux défaits. 
Il me faut reconnaître que je n'ai fait que suivre un fil qui ne conduit aux yeux de certains qu'en un penchant réactionnaire et qui fait dire à d'autres que les oeuvres d'art manquent toujours leurs horizons politiques. Car dans le riche déploiement d'un parcours à travers les fils d'une histoire, il se peut que celle-ci n'ai jamais eu ce qu'on peut appeler une fin. Ce sera le réconfort de se dire tout cela parce qu'en fin de compte il y a cette continuité qui fait d'un avant un après. Et je sais combien cette notion du temps qui s'écoule est héritière d'images définies par le temps alors je ne peux qu'en rester là cherchant à sentir les instants où il faudra être présent. 
Mais pas de la façon dont la ligne se dessine trop précise car on y perd fatalement quelque chose.



Le temps a passé et rien qui n'ait été rencontré qui détermine un changement dans mes sensations, tout au contraire. 
Il semblerait que l'art d'aujourd'hui soit rendu  restreint dans ses conséquences par manque d'imagination.
Le plus grand renversement qu'on pourrait en attendre serait qu'il puisse parvenir à devenir l'endroit où se déroule les évènements de la vie.
Dire cela peut paraître prendre le problème à l'envers en tant que le sens commun aurait tendance à définir avant tout l'espace de la vie comme étant la ressource pour l'oeuvre d'art.
Mais je dis que c'est précisément à cet endroit que doit s'arrêter un art de l'information.
Si l'art s'avance vers le lieu de la réalisation du monde, il y a de grandes chances que la teneur même des éléments de la vie se métamorphose.
L'art consiste à l'usage à pénétrer et à approfondir ce que la vie nous offre.
Et je sais que cela ne trompe pas, chacun y reconnaît l'évidence.
Je parle d'un oubli préalable, une espèce de négligence pour le monde, de façon à s'en ressaisir par l'aspect inattendu.
Mais il faut sentir, et il faut voir.
On n'apprend pas de ce qu'on efface tous les jours, pas plus que si on consigne avec rigueur l'ensemble des détails du réel.
Il y a lieu de s'investir.
Aujourd'hui je n'aurais pas d'image. Ce que j'ai à dire est trop important.
Avons-nous vraiment entendu l'appel de chaque élément? Auquel cas pourquoi nous plaindre? Nous faisons et réalisons le monde exactement comme nous le désirons. Or le désir est un milieu dangereux pour l'être humain car il se constitue en nature autant de ce qu'il est que de ce qu'il n'est pas et avec toujours la même force et la même évidence.
Grande terreur voisine avec élucidation et correspondance.
Le détail ne porte pas le sens. Je dois lui reconnaître une épaisseur suffisante pour qu'elle corresponde avec mon corps. Et il en ira à l'identique de l'esquisse qui contient en puissance le chef d'œuvre.
J'ai dit que l'esthétique tenait dans l'établissement des champs de cohérence. Attendre et regarder le cours du temps advenir contient certes une ivresse mais aussi notre disparition. Et il est vrai que notre disparition porte autant d'excitation plaisante que notre réalisation une plaie à vif sur les phénomènes du monde extérieur.
Les animaux ont d'instinct le réflexe de lécher leurs blessures pour accélérer le processus de cicatrisation, mais nous nous avons la langue avare. Nous avons bien trop peur de mourir.